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L'interview Télémédecine 360 #3: Dr Pierre Simon, ancien président de la SFT

Nous commençons l’année avec une interview du Dr. Pierre Simon, ancien président de la société française de télémédecine.

– Pouvez-vous nous rappeler votre parcours dans la télémédecine ?

J’ai commencé à m’intéresser à la télémédecine en 1997 en créant avec Uni-médecine (Directeur Jean-Yves Robin, ancien directeur de l’ASIP santé) un site internet de télé-expertise en néphrologie à l’intention des médecins généralistes de ma région. Le but était d’aider les médecins de soins primaires à interpréter et à gérer des dosages de créatininémie chez des patients âgés. Ce site s’est arrêté en 2000 car son coût était démesuré eu égard au nombre de demandes de télé-expertise chaque mois (seulement une vingtaine) ce qui donnait un prix de revient de chaque télé-expertise de près de 700 euros. Cette initiative était trop précoce car seuls les médecins internautes demandaient une télé expertise. Ils étaient peu nombreux à cette époque.

J’ai ensuite développé à partir de 2001, pour la première fois en France, le concept de télé dialyse. Il s’agissait d’offrir aux patients dialysés en centre des lieux de traitement plus proches de leur domicile, qu’on appelait à l’époque « centres allégés » et que le décret du 23 septembre de 2001 a dénommé « unité de dialyse médicalisée » (UDM). Après une phase expérimentale qui a duré jusqu’en 2004, financée à l’époque par l’ARH de Bretagne, cette pratique est devenue légale lorsque la télémédecine a été reconnue en août 2004 dans la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie (art. 32). Cette nouvelle pratique a été validée par la H.A.S. en janvier 2010 à la demande de la DGOS. Il était ainsi démontré que la « brique » de télédialyse, qui comporte 3 pratiques de télémédecine (télésurveillance de la séance par des systèmes experts, téléassistance des IDE et téléconsultation du néphrologue en fin de séance), pouvait permettre de sortir du centre 20 à 30% de patients dialysés équilibrés dans leur traitement. Il pouvait en résulter, pour l’Assurance maladie, une économie de 3 à 400 millions (sur les 4 milliards consacrés chaque année) si 6 à 7000 patients traités en en centre étaient traites dans des UDM télésurveillées proches de leur domicile (moins de coût de transport, tarif de séance plus bas que le tarif en centre).

J’ai été appelé au Ministère de la santé en août 2007 comme Conseiller général des établissements de santé (CGES). J’ai écrit avec Dominique Acker, directeur d’hôpital et CGES, le rapport ministériel sur la « Place de la télémédecine dans l’organisation des soins » (novembre 2008) qui a servi à redéfinir la télémédecine dans la loi HPST du 21 juillet 2009 (art 78), l’article de 2004 étant abrogé, et à préciser le décret d’application du 19 octobre 2010.

J’ai été fondateur et premier président de l’Association nationale de télémédecine (ANTEL) en juin 2006, dont l’objectif principal était d’évaluer le service médical rendu aux patients par la télémédecine, présidence que j’ai abandonnée en septembre 2007 lorsque j’ai été nommé au Ministère de la Santé. Je suis redevenu président de l’ANTEL en janvier 2010, avec la volonté d’élargir cette société savante à toutes les spécialités médicales qui avaient une application de télémédecine. L’ANTEL est devenue en mars 2014 Société Française de Télémédecine (SFT-Antel). Mon mandat de président s’est terminé le 30 octobre 2015.

– Pourquoi avez-vous décidé d’écrire un livre sur la télémédecine cette année ?

Quittant la présidence de la SFT-Antel en octobre 2015, j’ai souhaité faire coïncider ce départ avec la publication de mon livre, en gestation intellectuelle depuis quelques années. Il m’a semblé qu’il serait utile au débat actuel, notamment pour faire connaitre « la télémédecine du présent », souvent méconnue de beaucoup de débateurs publics, notamment des informaticiens et du milieu industriel. Enfin, je voulais rappeler que la France a été avec la Norvège, au début des années 90 un pays pionner dans ce domaine, ce que beaucoup de gens ignoraient.

– Pourquoi avoir choisi les éditions Le Coudrier pour l’édition de ce livre ?

Ecrire un livre médical chez un éditeur médecin était un atout que d’autres sociétés d’éditions qui m’avaient contacté n’avaient pas. Tout au long de la construction de cet ouvrage (Télémédecine: enjeux et pratiques), j’ai apprécié le grand professionnalisme de Pascale Gayrard. Elle a largement participé au succès de ce livre.

– Dans votre livre, vous faites un retour sur le développement de la télémédecine en France, comment envisagez-vous le futur de la télémédecine en France ?

En me situant dans le droit fil de ce qu’ont voulu les pouvoirs publics en 2009, la télémédecine n’est d’abord qu’un moyen, parmi d’autres, d’améliorer l’accès aux soins des personnes isolées, handicapées ou fragilisées. C’est le premier objectif à atteindre car l’urbanisation de nos sociétés a créé des inégalités d’accès aux soins. Pour y parvenir, nous avons encore du chemin à parcourir ! Si je ne prends comme exemple que l’AVC, nous réalisons en France moins de 10% de fibrinolyse dans la phase aiguë, alors que d’autres pays sont parvenus à près de 30% (la Finlande par exemple). Le télé-AVC, qui s’organise dans toutes les régions françaises dans le cadre du plan prioritaire décidé par les pouvoirs publics le 9 juin 2011 en Conseil des ministres, devrait rapidement améliorer ce taux actuellement insuffisant afin que les pertes de chance soient réduites sur tout le territoire.

Quelle sera la télémédecine du futur ? Plusieurs hypothèses peuvent être faites.

Si la télémédecine reste seulement un moyen d’améliorer l’accès aux soins, l’organisation qui se met en place en ce moment, comme les téléconsultations dans les EHPAD, les téléexpertises entre médecin de soins primaires et médecins spécialistes ou la télésurveillance des maladies chroniques au domicile pour prévenir les venues aux urgences et les hospitalisations, cette télémédecine-là, qui complète la pratique usuelle de la médecine, sera encore en place dans 10-15 ans et aura modifié en profondeur l’exercice de la médecine des jeunes générations.

Si la télémédecine devient par contre un moyen de révolutionner l’accès aux médecins pour les populations plus jeunes qui voudront utiliser les outils mobiles pour gérer autrement leur temps professionnel ou privé, l’exercice traditionnel de la médecine, avec son côté humaniste, sera menacé de disparaitre au profit d’une médecine moins humaniste, moins personnalisée, gérée par des plateformes commerciales. On entrera alors dans la santé connectée consumériste où il sera difficile à ces médecins de plateformes de distinguer ce qui relève réellement d’une maladie de ce qui relève du mal être d’une société de l’immédiateté et du stress, sauf à remplacer le raisonnement intellectuel médical par la performance d’ordinateurs superpuissants pour gérer les data (Watson d’IBM par exemple).

Il me semble nécessaire de faire tomber la fièvre médiatique actuelle qui se répand dans les médias et sur les réseaux sociaux annonçant « la médecine sans médecins », ou « la disparition des maladies grâce à la médecine prédictive ». Toutes ces annonces font certainement rêver nos concitoyens et font marcher le business médiatique. Je reste très prudent vis-à-vis de ces annonces car on oublie généralement de mettre dans la balance les questions éthiques, l’évolution galopante du changement de climat et la pollution dont les conséquences sur la vie ne sont pas encore connues ou maitrisées.

Enfin, ce désir d’américanisation ou d’ubérisation de la santé m’exaspère un peu, car nous pouvons innover en France dans des modèles qui prennent en compte notre propre culture et notre histoire. Il n’ y a nul besoin de copier le modèle anglosaxon. La mondialisation de l’économie crée des pressions fortes sur nos modèles de vie, notamment sur la manière de gérer notre santé. Il faut y résister et avoir confiance dans notre propre innovation !

– Vous avez récemment publié un article sur le téléconseil médical personnalisé, pouvez-vous nous expliquer brièvement votre position à ce sujet ?

C’est très simple à comprendre. Si on prend en considération l’évolution de notre société, qui ne supporte plus d’attendre et qui est en permanence dans l’immédiateté et l’urgence, il faut que la médecine apporte à cette société une réponse nouvelle. Le téléconseil médical personnalisé pourrait devenir la première étape d’un parcours de santé en triant ce qui ne relève que du simple conseil médical pour rassurer, de ce qui doit relever d’une prise en charge médicale réelle, soit auprès du médecin traitant, soit auprès des urgences hospitalières. Ce premier niveau de « triage » de la demande en santé ou en soins pourrait permettre de désengorger les structures d’aval que sont les soins primaires ou les urgences hospitalières. Tout le monde y trouverait son compte : le patient d’abord qui serait mieux orienté dans son ressenti et son besoin d’une réponse immédiate, le médecin de soins primaires qui verrait en consultation programmée ou non programmée des patients qui ont de véritables motifs de les consulter, les urgences hospitalières qui verraient leur fréquentation diminuer dans les demandes de soins primaires et qui pourraient ainsi mieux s’organiser, enfin les payeurs,l’assurance maladie pouvant trouver d’importantes économies sur les urgences (quelques milliards !) qui serviraient à mieux payer les vraies consultations de soins primaires, les complémentaires santé et assureurs qui ont également un intérêt à agir en offrant ce service de téléconseil médical à leurs adhérents qui peuvent moins consommer sur la part de soins dévolue aux complémentaires. Il me semble que tout le monde serait gagnant. Le modèle Medgate en Suisse existe depuis 15 ans et est exemplaire. Le développement de ces plateformes de téléconseil, à l’initiative des complémentaires santé ou des assureurs, ne relève pas pour moi de « l’ubérisation » de la santé. Etre médecin sur une plateforme de téléconseil médical personnalisé demande de l’expérience professionnelle car c’est un exercice difficile et risqué.

– Enfin, vous avez aussi créé un blog sur la santé connectée et la télémédecine, quel est l’objectif de ce blog en quelques mots ?

Le blog est là pour participer au débat sur tous les sujets évoqués, avec une voix libre (ce qui ne pouvait être le cas lorsque j’étais président de la SFT-Antel). De plus, dans ce monde où le débat sur la santé me parait parfois confisqué par les juristes, les informaticiens et les industriels du numériques, en particulier sur les réseaux sociaux, il me parait important que des voix médicales se fassent entendre !

 

Télémédecine 360 tient à remercier Dr Pierre Simon pour sa participation à cette interview et à saluer le travail accompli dans le domaine de la télémédecine durant toute sa carrière.

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